Dans un arrêt rendu le 24 janvier 2022, soit Procureur général du Québec c. Opron inc.[1], la Cour d’appel du Québec a limité l’applicabilité des clauses de procédure de réclamation qui sont systématiquement incorporées dans les contrats majeurs de construction au Québec.
Dans cette affaire, le ministère des Transports du Québec (« MTQ »), à titre d’appelant, avait octroyé un contrat à forfait à l’intimée Opron inc. (« Opron ») pour la réfection de deux viaducs et de leurs approches, soit le pont de la Savane et le pont Ruisseau-Barré.
En cours d’exécution, soit en octobre 2008, le MTQ et Opron avaient convenu verbalement que cette dernière devait accélérer les travaux sur le pont de la Savane dans le but de permettre son ouverture avant Noël et que le MTQ paierait les coûts supplémentaires.
Toutefois, bien que l’existence de cette entente ne fût pas contestée, la portée de celle‑ci était moins claire et a donné lieu à un litige dans le cadre duquel Opron réclamait les différents coûts supplémentaires liés à l’accélération de ses travaux.
En défense, le Procureur général du Québec(« P.G. ») argumentait que la réclamation d’Opron devait être rejetée puisque cette dernière n’avait pas respecté la procédure de réclamation prévue à la clause 8.8 du Cahier des charges et devis généraux (« CCDG »). Plus particulièrement, le P.G. plaidait qu’Opron avait omis de transmettre une réclamation détaillée dans les 120 jours de l’estimation finale des travaux.
Sans surprise, la Cour d’appel du Québec a confirmé le bien-fondé de ses arrêts antérieurs dans les affaires Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur électricien inc.[2] et Coffrage Alliance ltée c. Procureure générale du Québec[3] dans lesquels elle avait notamment établi le principe qu’un entrepreneur doit suivre la procédure de réclamation, sous peine de rejet de sa réclamation.
Toutefois, la Cour d’appel a apporté une nuance importante en décidant que la procédure de réclamation ne s’appliquait pas aux coûts supplémentaires réclamés par Opron puisqu’une entente, assimilable à un avenant, était intervenue en octobre 2008, tel qu’il appert de l’extrait ci-après :
« [61] À mon avis, lorsque l’entrepreneur réclame paiement pour des travaux supplémentaires en vertu d’un avenant au contrat, il n’y a rien d’exorbitant au droit commun et la clause 8.8 ne s’applique pas. Il n’est plus question d’un entrepreneur qui se croit « lésé d’une façon quelconque par rapport aux clauses du contrat », de « difficultés qui, selon lui, justifient son intention de réclamer », de « grief » ou de « solution ». Au contraire, la difficulté a été réglée, les parties ont convenu d’un avenant au contrat conformément à la clause 8.4 du CCDG et l’entrepreneur réclame en vertu de cet avenant et non en vertu de la clause 8.4.4 et la procédure exceptionnelle prévue à la clause 8.8.
[62] L’entente intervenue en octobre 2008 constitue un tel avenant. Dans la mesure où cet avenant s’applique, il exclut l’application des clauses 8.4.4 et 8.8. En conséquence, Opron n’était pas tenue de suivre la procédure prévue à la clause 8.8 pour sa réclamation. […] »
En raison des termes utilisés par la Cour d’appel du Québec, il est manifeste que la limite à l’applicabilité de la procédure de réclamation s’étendra non seulement aux réclamations basées sur une entente verbale avec le donneur d’ouvrage, mais également aux réclamations basées sur un avenant formellement émis par ce dernier.
Ainsi, nous pouvons conclure qu’une importante brèche vient d’être créée dans l’applicabilité de la procédure de réclamation par cet arrêt de la Cour d’appel du Québec et qu’elle permettra fort probablement aux entrepreneurs de voir plusieurs de leurs réclamations être évaluées sur le fond plutôt que simplement rejetées sur la base du non-respect de la procédure de réclamation.
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KSA, avocats, s.e.n.c.r.l.
Me Vincent St-Pierre, avocat associé
Me Nicolas Deschenaux, avocat
[1] 2022 QCCA 98.
[3] 2020 QCCA 1383.